VASSIGH Chidan

Email: cvassigh@wanadoo.fr

Site Web: www.chidan-vassigh.com

 Novembre 2016

 Intervention dans le cadre du cours :

 L’idéologie : histoire et usages du concept

Pr. Orazio IRRERA

 

 

Les éléments totalitaires de l’idéologie

D’après un regard original d’Hannah Arendt

 

Depuis son invention par des idéologues de la fin du XVIIIe et début de XIXe siècle et sous l’effet de la Révolution française, le mot « idéologie » est utilisé abondamment dans la littérature politique et philosophique, bien que son usage reste contesté par ses ambigüités et ses sens multiples, positifs ou négatifs, péjoratifs ou non. La question de la pertinence de sa conceptualisation est donc toujours posée.  

Hannah Arendt a consacré quelques pages à ce concept dans son célèbre livre intitulé Le système totalitaire. Il nous a semblé qu’on est ici en présence d’un nouveau regard, d’une nouvelle approche, originale à son époque, sur l’idéologie et ses divers usages par les mouvements de domination et en l’occurrence totalitaires. C’est sur quoi nous allons nous pencher dans cette intervention, en rapport avec le cours sur L’idéologie : histoire et usages du concept.

------------------------------

 

Hannah Arendt a commencé à écrire sur les origines du totalitarisme après la fin de la seconde guerre mondiale. Elle termine son manuscrit en 1949, c’est-à-dire quatre ans après la chute d’Hitler et avant la mort de Staline. Le livre est publié en 1951 à un des moments de l’histoire mondiale où le phénomène totalitaire a pu jouer un rôle de premier plan et catastrophique pour l’humanité.  

Dans son ouvrage, Arendt analyse les deux régimes : nazi en Allemagne de 1929 à 1941 et stalinien en Union soviétique de 1945 à 1953. Dans l’introduction du livre, elle les qualifie de systèmes  totalitaires et précise qu’ils se démarquent des dictatures classiques par certaines propriétés. Bien que le terme totalitarisme, en tant que concept, soit contesté par certains philosophes, historiens et sociologues de la politique, comme d’ailleurs celui de « l’idéologie totalitaire », il nous semble qu’il existe néanmoins et généralement parlant une adhésion consensuelle aux thèses énoncées par Arendt sur la spécificité du système totalitaire tel qu’il fut appliqué par l’Allemagne nazie et la Russie de Staline. Selon notre lecture du livre d’Arendt, celle-ci caractérise et différencie ces régimes totalitaires par six singularités, que nous résumons ainsi :  

Premièrement par la présence des masses atomisées, déracinées, déclassées, fanatisées, accablées par la crise économique et le chômage, encadrées, endoctrinées, manipulées, organisées hors des partis traditionnels… qui constituent la pierre angulaire du système. Les masses du mouvement totalitariste sont aliénées à la propagande du système et s’identifient totalement à son chef.

Deuxièmement par la toute-puissance de ce chef, guide suprême et infaillible, qui peut être le parti unique (parti-État), le dirigeant charismatique, et qui, se plaçant à la tête du système, révèle, tel un prophète, la vérité et la voie unique à suivre.

Troisièmement par l’idéologie étatique, totalitaire, omniprésente et mobilisatrice des masses, s'articulant autour des réalités fictives et qui se caractérise par son côté messianique.

Quatrièmement par l’usage de la violence radicale à l’encontre de la population, des minorités de toute sorte et de tout opposant réel ou potentiel. Terreur étatique et policière (exercée par la police secrète, les milices paramilitaires etc.) que l’on peut qualifier de crimes contre l’humanité.

Cinquièmement par le pouvoir de contrôle qui s’applique dans tous les domaines de la vie sociale et humaine, privée ou publique. Violation totale des droits humains. Disparition du pluralisme et de la société civile.  

Sixièmement par la guerre pour la domination totale tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Mais l’objet de notre exposé ici n’est pas le totalitarisme tel que nous venons de le définir d’après notre compréhension du livre d’Hannah Arendt, ce qui est un vaste sujet et qui sort évidemment du cadre de l’étude qu’on s’est fixée sur le concept de l’idéologie. Ce n’est pas non plus les considérations générales sur «l’idéologie» telles qui sont énoncées par la philosophe. En effet, dans la dernière partie de son livre, dans la section 4, sous le titre Idéologie et terreur : un nouveau type de régime (Le système totalitaire, page 203), Arendt explique très succinctement le sens de l’idéologie pour ne s’intéresser que spécialement à ses éléments pouvant être utilisés pour le mouvement totalitaire.  Son objectif dans cette section est de montrer en quoi l’idéologie peut se mettre au service du mouvement totalitariste dès que celui-ci prenne possession de certaines composantes de l’idéologie aptes à la domination.

Précisément, la matière du livre consiste à mettre en lumière les caractéristiques et les ressorts du mouvement totalitariste réellement existant dans l'entre-deux-guerres. L’idéologie, dans ce cadre, n’intervient, selon Arendt, que par certains de ses constituants utiles au totalitarisme. Par conséquent, ce qui nous importe ici, rappelons-le, c’est de nous intéresser à cette particularité de l’idéologie, de toute idéologie quelle que soit, qui consiste, selon Arendt, à ce que certains de ses composants peuvent servir l’entreprise de domination totalitaire. Nous faisons remarquer brièvement la pertinence d’un tel usage dans le monde d’aujourd’hui.  

----------------------------------------

 

L’idéologie semble vouloir dire la logique d’une idée, qui peut devenir l’objet d’une science, comme les animaux sont l’objet de la zoologie. Littéralement et étymologiquement,  « logie » de l’idéologie implique le logos grec, la parole vraie, le savoir véritable, qui s’oppose à la doxa, l’opinion fausse ou vraisemblable selon Platon. L’idéologie a donc la prétention à la scientificité. Elle est le logoi, le discours scientifique tenu à propos de l’idée. Or, selon Arendt, il se trouve que siègent en cette parole, qui s’autoproclame « vérité », des éléments « utiles » à la domination. Ce qui ne peut être constaté qu’a postériori.

« Les idéologies ont la prétention de constituer une philosophie scientifique. Elles sont connues par leur caractère scientifique. Seule la sagesse du regard a postériori nous permet de découvrir en elles des éléments qui peuvent les rendre utiles à la domination totalitaire ». (P .216)    

L’idée de l’idéologie n’est en réalité ni « l’intelligible » de Platon,  ni le principe régulateur de Kant. C’est plutôt un instrument, encore selon Arendt, un outil d’explication globale du monde. Un Weltanschauung, dit-elle en allemand, qui signifie la vision du monde, la conception du monde dans sa totalité, dans sa globalité et aussi dans son exclusivité et son monopole. À la fois l’histoire du passé, du présent et de l’avenir unique, certain, inéluctable, irréversible. Tout cela dans la logique propre de l’idée sans la médiation d’aucun facteur extérieur, d’une expérience, d’une pratique.

  « Ce qui habilite « l’idée » à tenir ce nouveau rôle, c’est sa « logique » propre, à savoir un mouvement qui est la conséquence de l’ « idée » elle-même et qui ne requiert aucun facteur extérieur pour se mettre en mouvement ». (P. 217)   

Jusqu’ici rien n’est dit de particulier qui diffère foncièrement des énoncés d’autres philosophes ou penseurs antérieurs à Arendt sur l’idéologie en tant que déformations de la réalité, illusions ou fausses représentations se présentant vraies, scientifiques et conformes à la réalité. Marx et Engels avaient déjà parlé de l’idéologie en un sens péjoratif comme illusions et fantasmagories, comme produits déformés et renversés ou inversées de l’activité réelle des hommes, de leurs rapports sociaux limités et étriqués et de la division sociale du travail, à la manière de ce que fait une camera obscura (l’idéologie allemande). Ils avaient aussi discouru sur « l’idéologie dominante » en faisant, selon Etienne Balibar, de la question de domination une partie incluse et intégrante de toute idéologie, de toute élaboration de son concept (Balibar : La philosophie de Marx).

Mais ce que la philosophe allemande, juive et réfugiée au Etats-Unis après avoir fui le nazisme en 1933, dit, à notre connaissance, pour la première fois en 1950, ce qui est nouveau, novateur et original dans son analyse, c’est que les idéologies du XIXe ou XXe siècle ne sont pas en elles-mêmes totalitaires, mais qu’elles possèdent toutes sans exception des éléments, des composantes, des constituants ou si on puisse dire des fondements qui les rendent utiles à la domination totalitaire. En d’autres termes, Arendt dit :  

 « Toutes les idéologies contiennent des éléments totalitaires mais qui ne sont pleinement développés que par les mouvements totalitaires ». (Souligné par nous) (P. 219)

Et elle ajoute qu’il existe trois éléments spécifiquement totalitaires qui sont propres à toute pensée idéologique.

Quels sont ces trois éléments et comme Arendt les définit-elle?

Le premier est la prétention, la revendication de l’idéologie de tout expliquer sur l’histoire du monde et d’une façon générale sur tout ce qui était, tout ce qui est et tout ce qui sera. C’est affirmer connaître tout du passé, du présent et de l’avenir, avec la certitude totale.

 « La prétention de tout expliquer promet d’expliquer tous les événements historiques, promet l’explication totale du passé, la connaissance totale du présent, et la prévision certaine de l’avenir ». (P. 219)

Le deuxième élément est cette volonté de la pensée idéologique, dans sa propension de tout expliquer, à « s’affranchir de toute expérience, dont elle ne peut rien apprendre de nouveau, même s’il s’agit de quelque chose qui vient de se produire » (P. 219). C’est l’inclination à s’émanciper, à se libérer de la réalité en affirmant qu’il existe une autre « plus vraie » mais invisible au peuple. Une autre réalité qui se cache, se dissimule, se masque  derrière les choses sensibles et qui ne peut être découverte, dévoilée ou démasquée que par un sixième sens, comme dit Arendt, que seule l’idéologie le fournit (P. 219). La propagande totalitaire va se servir de cet élément de l’idéologie pour asseoir sa domination sur la société. Comme dit Arendt, elle « s’efforce toujours d’injecter une signification secrète à tout événement public et tangible, et de faire soupçonner une intention secrète derrière tout acte politique public. Une fois au pouvoir, les mouvements [totalitaires] se mettent à la tâche de changer la réalité conformément à leurs prétentions idéologiques. » (Pages. 219-220).

Enfin le troisième et dernier élément, selon Arendt, est l’utilisation par l’idéologie de « certaines méthodes de démonstration » pour libérer la pensée de la réalité et de l’expérience. La méthode consiste à partir des suppositions prises pour axiome et de dérouler toute l’argumentation que nulle expérience ultérieure ne peut la contrarier. Ici la pensée s’engendre d’elle-même et tout se déduit selon un mouvement libéré de tout souci de vérification pratique ou expérimentale.

« Premièrement, parce que le mouvement de pensée de l’argumentation idéologique ne naît pas de l’expérience mais s’engendre lui-même ; et en second lieu parce qu’il transforme le seul et unique élément tiré et admis de la réalité expérimentale en une prémisse à valeur d’axiome, et dès lors, s’en remet au cours de l’argumentation que nulle expérience ultérieure ne vient troubler. Une fois les prémisses établies, le point de départ donné, les expériences ne peuvent plus venir contrarier la pensée idéologique, pas plus que celle-ci ne peut tirer d’enseignement de la réalité ». (P. 220)

En résumant ces propos, on peut formuler ainsi ce qu’Arendt détecte comme composantes du type totalitaire dans toute idéologie : 1° la prétention d’une explication totale de l’histoire, 2° l’affranchissement de toute expérience et 3° l’auto-génération continuelle de la pensée idéologique à partir des suppositions prises pour axiome.   

Ce qui fait, à notre sens, l’originalité arendtienne à la fois dans la conceptualisation de la notion d’idéologie et dans son usage en philosophie et pensée politique, se trouve précisément dans ces trois énoncés. Expliquons-nous. Il y a quelque chose dans toute idéologie qui fait qu’un mouvement totalitaire, comme le nazisme ou le stalinisme, auquel  on peut ajouter aujourd’hui les régimes théocratiques, je pense par là aux régimes islamiques, puisse jeter son dévolu sur elle, l’utiliser dans son opération de domination. Arendt détecte formellement  ces éléments totalitaires de l’idéologie à partir de l’étude de ce qu’elle appelle mouvement totalitariste. Voyons maintenant de plus près chacune de ces trois composantes.

Premièrement, c’est cette autosuffisance intellectuelle ancrée dans toute idéologie qui fait qu’elle se donne comme mission prophétique de « tout expliquer ». Expliquer sans se questionner, se douter, se contredire ou se nier. Donc sans « penser » car toute « pensée » véritable ne pense que si elle puisse se mettre en question à tout instant. C’est par conséquent cette prédisposition mentale et radicale à une explication systématique, complète et intégrale du passé et du présent. Cette certitude absolue de ce que sera le monde de demain conformément aux principes, dogmes, canons ou archétypes établis. C’est tout cela qui peut faire d’un système d’idées, d’une idéologie en l’occurrence, une entité subjective totalisante ou totalitaire. À notre avis, c’est bien cette composante de l’idéologie, visant à tout expliquer sans se questionner, qui la transformerait – disons-le au conditionnel car il faut bien le concours d’autres éléments et circonstances - en une religion. Mais une religion plutôt, mais pas toujours, civile, non révélée ou séculaire.    

Deuxièmement c’est le rapport d’indépendance, d’affranchissement et de non soumission de l’idéologie à l’égard de l’expérience, de la pratique ou de la réalité, à plus forte raison lorsque celles-ci viennent contredire ou mettre en question les préceptes, principes ou dogmes établis. C’est ce qui rend possible le basculement d’un système d’idées prétendant à la scientificité et à l’explication du monde, ou comme dit Raymond Aron, dans sa définition de l’idéologie au sens large, tout système global d’interprétation historico-politique - qui en soi n’est pas totalitariste - à une idéologie totalitaire au service de la domination. C’est, en d’autres termes, ce mépris de la réalité par une subjectivité qui nie toute expérience dérangeante et qui tend systématiquement à refuser la réalité au nom d’une autre réalité « plus vraie » mais qui est dissimulée et invisible au sens commun et que seul le chef suprême peut la dévoiler, la rendre visible en démasquant sons sens caché.  Ici, l’idée, en s’éloignant, se libérant et s’émancipant de l’expérience, de la pratique et de la réalité, peut se transformer en propagande comme arme redoutable au service de tout mouvement de domination qui ne peut survivre qu’en manipulant, mobilisant et asservissant les  masses par le mensonge et la démagogie.  

Troisièmement c’est finalement le mouvement de pensée qui ne naît pas de l’expérience mais s’engendre lui-même, se crée à partir de soi-même, de ses prémisses et principes pris pour postulats, pour des vérités absolues et imperturbables. Ici, la pensée au lieu de s’ouvrir à l’extériorité et à l’altérité du monde, prétend engloutir celui-ci dans sa propre réalité considérée comme l’unique absolu… Ce n’est pas la réalité des choses qui décide du sens des mots, c’est les mots qui recréent les choses à leur image… Ils deviennent capables de dévorer la totalité du monde.  (Colloque Hannah Arendt, pages 326 et 328) C’est ce qu’Hannah Arendt explique elle-même par le « caractère impitoyable de la dialectique » de l’idéologie totalitaire lorsque le dirigeant totalitaire va « déployer les implications idéologiques jusqu’à l’extrême d’une cohérence logique », jusqu’à l’absurde. Et elle donne cet exemple :

« Une "classe agonisante" était une classe de gens condamnés à mort ; les races qui sont "inaptes à vivre" devaient être exterminés. Quiconque considérait qu’il existait des choses telles que des "classes agonisantes" et n’en déduisait pas qu’il fallait en tuer les représentants, quiconque accordait que le droit de vivre n’était pas sans rapport avec la race et n’en déduisait pas qu’il fallait tuer "les races inaptes", était purement et simplement soit un idiot, soit un lâche » (P. 221)

------------------------------------------

 

Au terme de cette intervention, il me semble approprié de faire quelques observations sur la conception arendtienne du concept de l’idéologie étudié ici par ses composantes susceptibles de la rendre utile à toute pratique de domination et particulièrement à tout mouvement totalitaire.

Dans une première remarque, il faut bien savoir qu’Hannah Arendt écrit son livre en 1950 c’est-à-dire, comme on l’a souligné, à un moment de l’histoire où l’humanité sortait du nazisme et allait sortir du stalinisme. Par conséquent, face à la problématique de l’idéologie, Arendt ne se trouve pas dans la même situation que Marx et Engels lorsqu’ils ont rédigé l’idéologie allemande juste un siècle avant, lorsqu’ils exposaient leur matérialisme historique pour la première fois. Ce que ces derniers voulaient combattre à travers leur fameux manuscrit qui ne fut d’ailleurs jamais publié de leur vivant, c’était l’idéalisme dominant de leur époque, particulièrement en Allemagne post-hégélienne. Une philosophie spéculative qui imaginait pouvoir changer le monde sans le transformer de base, sans le révolutionner. Un idéalisme et un matérialisme ancien qui voulaient changer le réel par en haut, par les idées pures ou  les idéalités, par la métaphysique, la conscience humaine, la morale, religion, le droit, politique etc. Alors que tout ce monde éthéré, irréel, aux yeux du matérialisme nouveau que présentaient Marx et Engels, n’est que de l’idéologie, dominante ou non, des abstractions, des reflets, des échos, bref des représentations  faussées ou inversées du procès de la vie réelle, c’est-à-dire des forces productives et des rapports sociaux de production. D’après eux, ce n’est qu’en transformant cette base, cette infrastructure dira-t-on plus tard,  par l’action révolutionnaire qu’on peut arriver à changer réellement le monde. Or Hannah Arendt a d’autres chats à fouetter, d’autres préoccupations en 1950, quand elle s’attache à définir le système totalitaire par son pilier idéologique. La question qu’elle se pose dans son livre est celle-ci : comment l’idéologie, en tant que système idéel, prétendant détenir la vérité, peut-elle être utilisée pour la domination totale ? Sur quelles particularités de l’idéologie, quelle qu'elle soit, un mouvement de domination, d’anti-émancipation, du type totalitaire ou autre puisse s’appuyer pour s’installer,  se développer et se maintenir au pouvoir ? Ici « l’idéologie » n’est pas considérée du point de vue de sa réalité fictive, fausse, illusoire, chimérique, imaginaire ou inversée, comme dans l’idéologie allemande, mais en tant qu’un véritable instrument de pouvoir, une machine de propagande, un outil de manipulation, d’encadrement et d’assujettissement des masses dans le sens particulier que celles-ci prennent dans la configuration arendtienne du totalitarisme.

Dans une deuxième remarque, chez Arendt, le concept de « l’idéologie dominante » n’est pas examiné pour déterminer spécialement de quelle classe sociale dominante celle-ci est-elle issue, à la manière encore de l’idéologie allemande qui considère l’idéologie dominante comme la pensée de la classe sociale dominante - ce qui par ailleurs est tout-à-fait pertinent et légitime à examiner pour le cas du totalitarisme -  mais elle est étudiée dans ses composantes inhérentes aptes au dogmatisme et à la domination. En un mot, on peut résumer en proposant que chez Arendt, dans le système totalitaire au moins, « l’idéologie » n’est pas déconsidérée dans son ensemble dans le sens péjoratif ou négatif du terme mais comme un complexe d’idéalités dans lequel sont présents d’une façon inhérente des éléments de domination.    

 Enfin dans une dernière observation, Hannah Arendt admet elle-même que la problématique totalitaire réduit la pertinence empirique, effective du concept à une période limitée des deux régimes nazis et staliniens. Nous pensons que l’on ne peut pas parler aujourd’hui de l’idéologie et de la domination  – et en particulier des régimes idéologiques - sans passer par les considérations arendtiennes dans le système totalitaire, sans tenir compte de celles-ci dans toute analyse digne de ce nom. Bien que les deux régimes susmentionnés aient disparu, les énoncés d’Arendt, à la fois sur les piliers du totalitarisme que sur les caractéristiques totalitaires de toute idéologie, constituent toujours une pensée à valeur théorique considérable pour toute approche concernant les nouveaux régimes totalitaires d’aujourd’hui, non seulement séculaires ou laïques mais aussi religieux ou théocratiques de toute sorte.

----------------------------------------

 

Bibliographie

1.       Le système totalitaire, Hannah ARENDT - Éditions du Seuil – 1972 – Pages 215-221.

2.       Colloque Hannah Arendt – Politique et pensée. Article de : Anne- Marie Roviello. Pages 323-339 Payot, 1989.

3.       Totalitarisme, idéologie et démocratie. Nestor CAPDEVILA. Texte en PDF.

4.       La pensée politique de Raymond Aron. Chapitre I : La critique des idéologies. Stephan LAUNAY. PUF 1995. Pages  79-90.

5.       La philosophie de Marx, Etienne BALIBAR. La découverte, 1993, P. 45.

6.       L’idéologie allemande, Karl Marx, essentiel (éditions sociales), P. 78.

7.       La crainte des masses, Etienne BALIBAR. Galilée, 1997, La relève de l’idéalisme, Les conceptions du monde. Pages 173-220

8.       Dictionnaire critique du marxisme. Georges LABICA – Gérard BENSUSSAN. PUF. 1982.